Nouvelle production spécialement rédigée pour la Gazette du Jouet Vintage. J'ai choisi aujourd'hui d'aborder une licence qui tombe peu à peu dans l'oubli, injustement, car elle est simplement exceptionnelle. Il s'agit des Power Lords. Je dois être certainement de parti pris lorsque j'évoque ces action figures du début des années 80, tant je les trouve atypiques, fascinantes, originales. Je vais donc essayer, modestement, de partager ici mon engouement pour cette licence distribuée par Revell et Ceji.  

Au programme, un petit retour assez concis à travers la gamme Power Lords, d'un point de vue général. Ensuite j'aborderai le maître Wayne Barlowe, indissociable des guerriers extra-terrestres. Enfin, je proposerai un focus sur Arkuss, le dictateur démoniaque, et ce via une étude de style en lien avec le travail de Wayne Barlowe. Je te souhaite une excellente lecture. 

Au delà de l'atmosphère

Les superlatifs s'accumulent avec facilité lorsque j'évoque la licence Power Lords. Et pour cause, si on examine celle-ci avec un œil aiguisé, les singularités déferlent. Je ne vais pas réaliser un listing exhaustif, sans fin, de tout ce qui compose la licence des guerriers extra-terrestres. En deux clics sur la toile la plupart des informations sont accessibles. Je vais plutôt essayer, modestement encore une fois, de capter l'esprit, d'analyser ce qui est clairement représentatif de l'oeuvre. Alors comment définir les Power Lords ? 

C'est avant tout une licence, déposée en 1982 par Strongin/Mayem sur le thème de la science-fiction. Le design atypique des personnages, de leurs véhicules, le background spatial, sont tout autant de caractéristiques qui nourrissent la thématique extra-terrestre. Cette dernière fascine les hommes depuis des siècles, et ce bien avant la naissance du prophète chrétien. Les Power Lords c'est Adam Power, dont la résonance nominative nous évoque les Maîtres de l'Univers mais également l'humanité au sens théologique. Adam Power va lutter avec ses compagnons contre le terrible dictateur Arkuss et ses sbires afin de protéger la galaxie. 

Les poncifs sont de rigueur. Dans la composition des groupes identitaires en opposition tout d'abord, avec des profils récurrents comme la figure féminine ou la brute aux gros bras. La présence d'un artefact, en l'occurrence une pierre précieuse cosmique, comme catalyseur d'énergie est également un élément traditionnel et relatif aux productions des années 80. Le primitif et la technologie s'entrecroisent également. 

D'un point de vue culturel, ce sera la toute fin des années 60 qui apportera un courant plus en vogue concernant les extra-terrestres avec le fameux signal LGM-1, Little Green Men - 1, capté par les astronomes anglais. Mais bien avant cela, le grand écran et surtout la littérature ont fait naître des mondes parallèles lointains très diversifiés ou encore des batailles acharnées pour protéger la Terre des envahisseurs. Je cite spontanément H.G. Wells, Isaac Asimov et bien évidemment H.P. Lovecraft parmi tant d'autres. 

Strongin/Mayem, à l'origine du projet Power Lords, choisiront de faire appel à un passionné de la culture extra-terrestre pour designer les personnages, Wayne Barlowe. Je reviendrai dans quelques paragraphes sur cet artiste de génie. 

Les guerriers extra-terrestres 

La gamme de jouets Power Lords c'est deux waves d'action figures, un très grand playset, des véhicules et des créatures. D'abord le design des figurines articulées : le concept initial est celui de la double-identité, avec plusieurs visages pour certains modèles. On retrouve également des membres dédoublés, toujours dans cette idée de multiplicité des formes. Les action features sont également de rigueur avec des bustes rotatifs, des parties mobiles/éjectables ou encore la capacité de projeter de l'eau. Les action figures Power Lords sont jouables, tant sur le plan des articulations que des fonctionnalités.

Le playset Volcan Rock est exactement dans l'esprit et le style des eighties : une ouverture en deux parties avec un intérieur jouable. Ceci nous évoque bien entendu le Château des Ombres. Je cite souvent la gamme des Maîtres de l'Univers comme un pilier fondateur de l'action figure. Si on se réfère au concept du Castle Grayskull de 1981 par Mark Taylor, on peut émettre encore une fois l'hypothèse d'un terreau conceptuel initial relatif à la licence de chez Mattel. Bien d'autres porosités sont à mettre en perspective entre les Power Lords et les Maîtres de l'Univers : les gift sets, le fan club, la double identité du héros, le concept des visages multiples de Disguyzor et Man-E-Faces ou encore celui du Power Transporter et du Battle Bones. 

En ce qui concerne les créatures, le Trigore est remarquable. Il semble tout droit issu de l'œuvre magistrale réalisée par John Carpenter, The Thing (1982). Les Beast Machines sont, quant à eux, le point d'intersection entre le véhicule et la créature. Wayne Barlowe n'était plus aux commandes lors de leur conceptualisation. Cela se ressent nettement, avec quatre modèles clairement détachés du reste de la gamme Power Lords et que je trouve, d'un point de vue strictement personnel, bien moins réussis. 

Trois mini-playsets sont restés à l'état de prototypes sur les catalogues : le Boulder Blaster, The Exploder et le Trap-Rock. Je sais pourtant que ce dernier a bien été commercialisé, ou en tout cas vu dans un magasin de type solderie. Je pourrais donner des informations si cela intéresse quelqu'un. Enfin la licence Power Lords c'est également trois comics publiés par DC Comics avec entre autres, dans les coulisses, le duo Fleisher/Texeira. Accessoirement, un jeu vidéo Power Lords a été conçu pour la Colecovision. 

La griffe Wayne Barlowe

Comme je l'ai mentionné en préambule, l'artiste Wayne Barlowe est indissociable de la licence Power Lords. Auteur, designer et illustrateur de génie, il est avant tout un passionné de science-fiction ainsi que de la thématique extra-terrestre. Dans son recueil d'illustrations, Barlowe's Guide to Extra-Terrestrials, Wayne Barlowe nous livre, entre autres, des interprétations de monstres et créatures issus de la littérature fantastique. 

Ainsi on découvrira des croquis inspirés d’œuvres provenant de James White, Larry Niven ou encore Robert Silverberg. Si tu aimes la science-fiction, je t'encourage à consulter les productions de ces auteurs. Ils sont clairement incontournables. Dans cette continuité, je t'invite également à parcourir le Barlowe's Guide to Fantasy.

Wayne Barlowe est présent dans notre quotidien mais sans que nous le sachions. Sur le plan cinématographique par exemple, il interviendra pour donner naissance à des créatures diverses. La liste est longue mais son travail est visible, entre autres, au travers des films Hellboy, Avatar, Titan A.E, Pacific Rim etc... 

La griffe Barlowe est clairement marquée par la mouvance horrifique de la science-fiction. Les formes de ses créatures sont disproportionnées, parfois sans buste ou avec très souvent des membres multipliés, dédoublés. Son oeuvre personnelle, Thype, est finalement une assez bonne synthèse du style qui le caractérise. J'ai coutume de dire que Wayne Barlowe a toujours été en avance sur son temps. On sait que ce statut avant-gardiste est parfois mal accepté au départ, ou en tout cas dérangeant. 

Je pense que la gamme Power Lords a été un peu victime du style Barlowe. Avec un succès en demi-teinte, qui n'enlève rien aux qualités des jouets, il semblerait que les enfants tout comme les parents n'étaient pas prêts à recevoir de telles créations. L'Amérique puritaine et sa vision préventionniste sont littéralement entrées en collision avec le style Barlowe. Il faut également ajouter à ceci une absence de support animé et une distribution désorganisée pour la France. 

Je me souviens très distinctement, lorsque j'étais enfant, avoir été interpellé en découvrant les jouets Power Lords. Ils me mettaient mal à l'aise, tel un film d'horreur dont on ne peut pas se détacher malgré un sentiment de peur. C'est ce que l'on appelle un effet réussi. Merci maître Barlowe. 

Des jouets venus d'ailleurs 

La gamme Power Lords a été distribuée initialement par la société Revell. Cette dernière couvrira le territoire U.S. mais également le Canada. La France et l'Allemagne connaîtront une distribution assurée par Ceji, faisant partie d'un grand conglomérat, la Compagnie Générale du Jouet. Celle-ci rachètera d'ailleurs la société Revell. Si on se réfère à une logique territoriale, la Belgique a dû également connaître la licence Power Lords. L'Angleterre et l'Italie restent à confirmer pour l'Europe.

C'est difficile avec une gamme comme celle des Power Lords d'établir une traçabilité fiable en termes de distribution. Concernant la France par exemple, la diffusion a été inégale, obscure, avec des jouets parfois vendus directement en solderie, tardivement. Les figurines articulées Power Lords n'étaient pourtant pas particulièrement onéreuses, environ 35 Francs.  La concurrence constituait également un obstacle majeur, avec de nouveau la licence des Maîtres de l'Univers. Le dessin animé mettant en scène les aventures de Musclor sera d'ailleurs diffusé pour la première fois en 1983, date à laquelle les Power Lords seront commercialisés. 

Les conditionnements Power Lords sont splendides. Ils s'inscrivent parfaitement dans la thématique extra-terrestre, avec un style très "seventies". La dominante bleue avec les nombreuses petites sphères est un choix pertinent. Une très belle charte graphique. Concernant les blisters Power Lords, sur le front card, un artwork latéral détaillé présente l'action feature du personnage contenu. Concernant les boîtes, le travail d'illustration est également remarquable, notamment pour le Spyzor et le Power Patroller. Le Power Transporter quant à lui ne sera jamais distribué. 

Les cardback sont également riches en illustrations. Les personnages de la gamme sont superbement représentés, sous leurs deux identités pour ceux qui en sont dotés. Le principe de la filecard à découper est présent, avec de petites biographies personnalisées pour chaque jouet. Enfin, concernant les Power Lords de la wave 2, des bandeaux explicatifs relatifs au fonctionnement des action features ont été ajoutés. 

On notera la présence d'un petit sticker offert avec chaque Power Lords de la wave 1. Six modèles différents existent. C'est un maigre bonus en comparaison des mini-comics ou autres BD promotionnelles proposés avec certaines gammes de l'époque. Oui, je fais de nouveau référence aux Maîtres de l'Univers, entre autres.

Etude de style et conceptualisation 

La figurine articulée d'Arkuss a donc été imaginée par Wayne Barlowe. J'orthographie sciemment Arkuss avec deux "s", selon la traduction française présente sur les conditionnements. Il faudra ôter un "s" pour la version d'outre-Atlantique. Si on examine le travail du maître Barlowe, différents croquis nous évoquent en préambule le design définitif d'Arkuss. Dans le recueil de 1979, Barlowe's Guide To Extra-Terrestrials, j'ai choisi d'extraire trois illustrations qui me semblent constituer le terreau créatif d'Arkuss.

D'abord le Cygnostik, issu de l'œuvre A Little Knowledge par Michel Bishop. Ici on retrouve cette idée de membres filiformes, avec des pinces aux extrémités des bras. 

Ensuite le Cinruss, extrait des tomes Hospital Station et Star Surgeon de James White. La présence d'ailes de papillon est à mettre en perspective avec celles de notre dictateur démoniaque. Les membres sont également filiformes.

Enfin Overlord, issu de l'oeuvre Childhood's End d'Arthur C. Clarke. L'idée à retenir ici est relative à l'aspect carapacé du buste, qui contraste encore une fois avec des membres nettement plus fins. Les ailes sont également remarquables.

D'autres créatures extraites de la littérature fantastique et interprétées par Wayne Barlowe restent encore à mentionner. J'ai choisi celles qui me semblaient les plus pertinentes, présentant le plus de porosités avec ce que sera le design définitif d'Arkuss. En dernière instance je joins le concept art original d'Arkuss par Wayne Barlowe. Deux idées majeures n'ont pas été retenues concernant  le modèle définitif : une mâchoire mobile ainsi que des pinces rotatives. Certainement pour des raisons de coût ou de technicité. 

Arkuss, le dictateur démoniaque 

La figurine articulée d'Arkuss est à classer au panthéon des monstres les plus réussis. Je pèse mes mots. Lorsqu'on l'observe, plusieurs sentiments se dégagent, s'entremêlent, de la fascination jusqu'au dégoût. J'ai déjà utilisé cette formule précédemment, et elle me semble appropriée de nouveau : l'effet est clairement réussi. Arkuss, selon la biographie de sa filecard, est un personnage insectoïde qui se nourrit de l'angoisse émanant de ses victimes. 

Cette idée d'insecte est parfaitement retranscrite dans son design filiforme, sa structure corporelle carapacée ainsi que ses ailes. La forme de ces dernières m'évoquent instinctivement le papillon lune. Les pinces et les cornes du dictateur démoniaque s'inscrivent également dans cette thématique d'insecte. Par ailleurs, l'action figure d'Arkuss mesure environ 15 centimètres, un format standardisé à cette époque par les Maîtres de l'Univers et globalement représentatif de la gamme Power Lords. 

Évoquer Arkuss c'est s'attarder sur les détails de sculpture qui parcourent son corps. Les stries, les pointes, les formes incisives squelettiques offrent un relief superbe, contribuant pleinement au design horrifique du dictateur démoniaque. Les yeux en plastique translucide sont également remarquables. L'idée d'un insecte mutant décharné, anthropomorphique, est parfaitement restituée. Je réitère, c'est de l'art.

Je termine en mentionnant l'action feature, un battement des ailes via le petit bouton-poussoir situé au dos d'Arkuss. Leur mobilité est assez restreinte, je ne sais pas si c'est propre à mon exemplaire. Cependant, d'un point de vue global, les articulations sont suffisantes et assurent une jouabilité très correcte. En termes de chromatique, le violet et le rouge s'harmonisent très bien. Les deux armes qui se clipsent sur les avant-bras d'Arkuss contrastent parfaitement avec leur revêtement chromé. 

J'ai pris beaucoup de plaisir à évoquer la gamme de jouets Power Lords au travers d'Arkuss. C'est une licence clairement atypique, un O.V.N.I. au propre comme au figuré dans l'univers de l'action figure made in eighties. Beaucoup de choses restent à mettre en transparence concernant les Power Lords et je vais m'employer à le faire dans mes prochaines productions, avec un engouement certain.

Encore une fois, l'idée de ce dossier n'était pas de lister tout ce qui est inhérent à la licence Power Lords mais de capter l'esprit, l'aura qui entoure l'œuvre et ses jouets. La période de pré-production est passionnante, elle permet de comprendre comment les idées se sont construites. Les Power Lords c'est un condensé de la culture appartenant à la science-fiction littéraire, interprétée par Wayne Barlowe. C'est la raison pour laquelle la licence me semble incontournable.

J'espère que tu as passé un bon moment de lecture. J'ai essayé d'être le plus concis possible par souci de lisibilité. C'est extrêmement difficile lorsqu'on évoque un sujet aussi riche que celui des Power Lords. Bonnes fêtes à tous et à très bientôt.